« Bleu / Nuit. L’art après les camps.
Une exposition de l’œuvre
de Shelomo Selinger »

mercredi 09 avril 2025

Bleu / Nuit. L’art après les camps. Une exposition de l’œuvre de Shelomo Selinger rassemble une sélection d’œuvres représentatives du parcours de l’artiste, lui-même survivant de la Shoah, de ses motifs artistiques – la célébration de la vie, la commémoration des morts –, ainsi que de ses techniques de prédilection – sculpture en taille directe, bas-reliefs, dessins et xylographies.

 L’exposition rend hommage à la trajectoire exceptionnelle de Shelomo Selinger, artiste et témoin. Elle se tient au Mémorial de la Shoah, bâtiment érigé en 2012 en face du Monument aux déportés. Ce dernier fut conçu par l’artiste en 1976, devant l’ancien camp d’internement de Drancy.

 

 

À travers quelque 60 œuvres, pour certaines jamais exposées ni reproduites, les visiteurs sont invités à découvrir la richesse et la diversité de l’œuvre artistique de Shelomo Selinger, ainsi que la portée humaniste dont l’artiste l’a investie. 

Sur une proposition de : Éléonore Ward, responsable du Mémorial de Drancy.

Commissariat : Paul Bernard-Nouraud, historien et théoricien de l’art, docteur en esthétique de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Commissaire muséographique, coordination générale de l’exposition et du catalogue : Marie Deparis-Yafil, critique d’art et commissaire d’exposition indépendante en charge de la coordination générale, de la muséographie, de la scénographie.

Graphisme : Hélène Degout.

© Photo de l’affiche : Teresa Suarez et Olivier Laban- Mattei – Agence MYOP. Shelomo Selinger, ADAGP, 2025

 

SHELOMO SELINGER : ARTISTE ET TÉMOIN

« Qui a connu les camps de concentration ne s’en libère jamais. Ils sont là, chaque nuit, et avec eux, chaque matin, ceux qui sont morts assassinés à mes côtés, témoins d’une ténèbre absolue et informe à partir de laquelle je sculpte l’espérance. » Shelomo Selinger

Shelomo Selinger © Olivier Laban- Mattei – Agence MYOP

 

L’exposition retrace le parcours personnel et artistique de Shelomo Selinger à travers une sélection de ses œuvres graphiques et sculpturales.

Le Monument aux déportés, qu’il érige en 1976 devant la cité de la Muette, constitue un moment décisif dans sa pratique artistique. La maquette de cette oeuvre est présentée au sein de l’exposition permanente (niveau 3), près des baies au travers desquelles on aperçoit la cité de la Muette et à proximité de trois statues représentant trois héroïnes de l’histoire de la Shoah.

À partir du projet drancéen, Shelomo Selinger a renoué avec cette mémoire que son œuvre a certes toujours entretenue, mais jamais de manière aussi explicite que dans les dessins de grand format, exécutés au fusain, qui sont ici exposés. En contrepoint, d’autres dessins évoquent la danse et la musique, dont la célébration occupe également une place centrale dans son œuvre.

Outre une sélection de bas-reliefs, l’exposition présente quelques-unes des illustrations que l’artiste a réalisées pour son ami le poète Bruno Durocher (1919-1996), né en Pologne, comme Shelomo Selinger, et comme lui survivant des camps nazis. Un dialogue entre poésie et dessin qui témoigne de leur volonté commune de créer contre les ténèbres.

Découvrir la chronologie 

Le Monument aux déportés 

Monument aux déportés, du sculpteur Shelomo Selinger, années 1970. © Mémorial de la Shoah/Coll. Shelomo et Ruth Selinger. 

 

 

« Dans quelque trois cents ans, un passant qui ne connaîtra rien de notre histoire s’arrêtera peut-être devant ce monument et, soudain, saisi par un voile sombre, s’interrogera : “Quel événement terrible a donc eu lieu ici pour que l’on ait bâti cette œuvre, érigé cette pierre ?” Et j’aime à espérer qu’il cherchera à comprendre et, partant, à se souvenir ? »

En 1972, Selinger remporte à l’unanimité des membres du jury le concours international lancé pour la création d’un Monument aux déportés devant la cité de la Muette de Drancy ; un projet lancé dès 1963 par le maire communiste de l’époque, Maurice Nilès.

Au terme de quatre ans d’efforts, dont deux passés en caravane dans une carrière de granit rose près de Perros-Guirec, Selinger livre les trois pièces constitutives de son monument, installées en 1976 au sommet d’une petite butte en guise de piédestal. Les trois sculptures forment ensemble la lettre shin (ש en hébreu).

Ce motif suggère une forme d’union, en dépit des écarts qui séparent les deux blocs latéraux que l’artiste associe aux portes de l’Enfer, et pour lesquels son épouse Ruth a conçu la lettrine des textes qui y sont gravés. Les figures humaines se concentrent, quant à elles, dans le bloc central. Celles-ci s’entremêlent dans une forme d’étreinte, un mot dont l’ambivalence résonne avec les deux pôles de l’œuvre de Selinger, où l’étreinte de la mort et celle de l’amour luttent pour rendre hommage aux morts et célébrer la vie.

« Trois héroïnes de la Shoah »

Haika, Mala, Zivia, « trois héroïnes de la Shoah ». © Olivier Laban- Mattei – Agence MYOP

 

Ces trois figures sculptées se présentent comme des hommages à trois femmes juives que l’artiste considère comme des « héroïnes de la Shoah » :

  • Mala Zimetbaum (1918-1944), qui parvint à s’évader d’Auschwitz-Birkenau avant d’être rattrapée et de gifler son bourreau sur l’échafaud tout en se donnant la mort ;
  • Zivia Lubetkin (1914-1978), membre fondatrice de l’Organisation juive de combat, qui participe à ce titre au soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, avant d’émigrer en Palestine trois ans plus tard, où elle fonde la Maison des combattants du ghetto ;
  • Haika Grossman (1919-1996), qui a participé quant à elle au soulèvement du ghetto de Bialystock cette même année 1943, avant d’émigrer en Israël l’année de sa création, en 1948, où elle poursuit une carrière de parlementaire jusqu’à la fin des années 1980.

DESSINER FACE À LA SHOAH 

À gauche, « L’Orchestre », de Shelomo Selinger. Olivier Laban- Mattei – Agence MYOP. Shelomo Selinger, ADAGP, 2025.
À droite, « Le Travail », de Shelomo Selinger. Olivier Laban- Mattei – Agence MYOP. Shelomo Selinger, ADAGP, 2025.

Contrairement à d’autres artistes survivants, Selinger n’a pas dessiné dans les camps où il a été interné et déporté. Sa découverte de l’art leur est postérieure. Elle est liée à sa rencontre en 1951 avec Ruth, sa future épouse, en Israël où il a émigré après-guerre. L’art qu’il pratique à partir de cette période est essentiellement sculptural.

C’est cependant dans le contexte de réalisation du monument de Drancy qu’il entreprend une vaste série de dessins de grand format ayant la Shoah pour thème principal. Leur violence extrême fait chez lui écho à certains thèmes bibliques.

Selinger compose ses dessins comme il sculpte ses bas-reliefs : en y condensant et en télescopant les figures sur un même plan. Cette saturation de l’espace dessiné peut être tenue pour un indice de la violence massive dont il a été l’une des innombrables victimes.

De même, sa manière unique de rayer ses compositions de lignes diagonales provoque de brusques ruptures visuelles. Lorsqu’elles s’élargissent, laissant toute une partie du support désœuvrée, elles y introduisent de grands vides, qui correspondent dans l’esprit de l’artiste à tout ce qu’il n’a pas pu représenter.

Cet équilibre complexe entre, d’un côté, des représentations extrêmement précises d’événements ou d’épisodes des camps, dont Selinger a été témoin ou qu’on lui a rapportés, et, d’un autre côté, une part d’irreprésentable inscrite au cœur de son œuvre, donne à celle-ci sa force singulière.

L’artiste fait œuvre de témoignage. La dimension artistique dont il l’investit ne le désavoue pas, pas plus qu’elle n’en diminue la valeur. Elle en intègre dans ses formes elles-mêmes les traces, les traumas prenant l’aspect de « blessures » graphiques. Si le rapport de forces est toujours défavorable aux figures de déportés, reconnaissables à leurs uniformes rayés, certains des dessins de Selinger témoignent aussi d’actes de résistance.

Nombre de déportés ont dessiné dans les camps, et beaucoup de leurs œuvres, outre leur vocation testimoniale, affirment une forme de résistance spirituelle. Celles de Selinger, bien que plus tardives, s’inscrivent dans cette lignée. Elles témoignent à la fois des camps nazis et contre eux, affirmant la dignité de leur auteur comme elles rendent hommage à ceux qui ont péri.

 

CÉLÉBRER LA VIE À TRAVERS LA DANSE & LA MUSIQUE 

Diverse par ses techniques, l’œuvre de Selinger l’est aussi par ses thématiques. Celles-ci ne portent en effet pas exclusivement sur son expérience des camps et sur la mémoire de la Shoah qui en découle. Tout un pan de sa création artistique célèbre la vie dans ses expressions les plus heureuses et collectives, en particulier à travers la musique et la danse.

Bien qu’il y applique également le principe des lignes brisées caractéristique de ses dessins, ceux qui prennent pour motif la musique et la danse donnent davantage le sentiment d’un miroitement que de ruptures visuelles brutales.

Dans une atmosphère plus familière et souvent familiale, les figures que dessine alors Selinger se concentrent autour d’instruments divers, à la manière de certaines compositions de Marc Chagall, ou bien s’égayent en sarabandes heureuses, à la façon, cette fois, des premières variations d’Henri Matisse sur le thème de la danse.

Ces œuvres de grand format voisinent ici avec une série de dessins d’une taille plus modeste, aux contours bleuis, comportant quelquefois des figures isolées. À travers leurs danses et leurs gestuelles, toutes expriment une vitalité opposée à la dévitalisation des camps comme à la brutalité mortifère qui y régnait. Les corps s’entremêlent désormais au lieu de se télescoper. Ils s’embrassent et s’enlacent comme leurs lignes s’épousent. L’étreinte de la mort s’y desserre peu à peu sous l’étreinte de l’amour.

Ce grand mélange auquel Selinger procède dans ses dessins bleus maintient néanmoins, pour chacun d’entre eux, une lisibilité grâce aux lignes plus épaisses qui en constituent en quelque sorte l’armature. Considérées individuellement, et plus encore en série, ces figures ressemblent à des idéogrammes.

Lorsqu’en 1945 André Malraux découvrit la série des Otages de Jean Fautrier, qui tendaient eux aussi vers l’idéographie, l’auteur de La Condition humaine parla à leur propos d’une « hiéroglyphie de la douleur ». Dans une certaine mesure, les dessins bleu-nuit de Shelomo Selinger peuvent être tenus pour sa propre hiéroglyphie du bonheur.

Un bonheur dont les formes conservent cependant le souvenir du malheur, sans que celui-ci n’y absorbe tout entier l’élan créateur et vital qui ne cesse d’animer l’artiste.

« Le Danseur », de Shelomo Selinger. © Olivier Laban- Mattei – Agence MYOP. Shelomo Selinger, ADAGP, 2025.

Entrée gratuite, Mémorial de la Shoah de Drancy

Presse: AGENCE C LA VIE

Ingrid Cadoret: ingrid@c-la-vie.fr

Ninon France : ninon.france@c-la-vie.fr

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Exposition proposée sous le haut patronage de la Commission nationale française pour l’UNESCO