Histoire de la cité de La Muette

Conçue dans les années 30 pour loger à bon marché des familles de Drancy, l’ensemble immobilier, inachevé, va servir de camp d’internement puis de rassemblement des Juifs. Près de 63 000 d’entre eux seront déportés depuis Drancy vers les camps d’extermination.

Avant d’attacher son nom au début des années 40 au camp d’internement puis de regroupement des Juifs de France en vue de leur déportation, la cité de La Muette à Drancy a été un projet de réalisation de logements bon marché.
Construite entre 1931 et 1937, la cité fait partie d’un projet de l’office public de l’habitat comprenant 11 cités-jardins et destiné à offrir aux classes populaires de banlieue, confort moderne et hygiène.

Le projet se veut à la pointe de la modernité. Son architecture se distingue par l’utilisation de matériaux standardisés et préfabriqués, des plaques de béton et des éléments métalliques qui sont assemblés sur place. Les 1 250 logements prévus se répartissent dans 5 tours de 14 étages auxquelles sont rattachés 2 par 2 des immeubles allongés de 2 et 3 étages. Cet ensemble est appelé « le peigne », tandis que le bâtiment en fer à cheval situé au Nord-Ouest et conçu comme un lieu civique de rencontres et d’échanges, est baptisé « cour d’entrée ». Ce bâtiment est le seul qui subsiste aujourd’hui.

La cité de la Muette devient un camp de prisonniers

Arrivée des premiers internés au camp de Drancy

Arrivée des premiers internés au camp de Drancy

En 1937, la cité livrée au promoteur immobilier ne rencontre pas le succès escompté. Les loyers élevés, l’enclavement, les malfaçons découragent les familles. Et c’est en définitive le ministère de la Guerre qui loue les tours et le « peigne » pour y loger la garde républicaine mobile.

En juillet 1940, l’ensemble est réquisitionné par la Wehrmacht. La cité va servir de camp de détention provisoire pour les prisonniers de guerre français et anglais. Le « fer à cheval » se prête facilement à la transformation en camp d’internement : construit sur 4 étages autour d’une cour d’environ 200 mètres de long sur 40 mètres de large, il est alors entouré de 2 rangées de barbelés et d’un chemin de ronde, tandis que des miradors sont installés à ses angles.

Drancy, plaque tournante de la déportation des Juifs

Prisonniers aux fenêtres du camp de Drancy

Prisonniers aux fenêtres du camp de Drancy

A partir de l’année 1941, le camp d’internement devient un camp d’internement et de représailles. Le 20 août 1941, suite à la grande rafle réalisée à Paris et aux arrestations massives qui se déroulent les jours suivants, 4 230 hommes au total sont transférés au camp de Drancy. Jusqu’en novembre, les conditions de vie y sont particulièrement difficiles. Les bâtiments sont inachevés, les conditions d’hygiène déplorables, la faim permanente.
L’absence de droit de visite, les humiliations et les violences de certains gendarmes – Drancy est alors administré par le préfet de police – augmentent encore la détresse des internés. Incapable de gérer la situation sanitaire, une commission médicale allemande libère en novembre 1941 près de 1 000 internés, parmi les plus jeunes ou les plus malades.

De décembre 1941, jusqu’en mars 1942, des otages sont extraits du camp pour être fusillés au Mont-Valérien ou déportés en représailles aux actions de la Résistance.

A l’été 1942, la cité de la Muette, située à proximité de deux gares devient un camp de transit, la plaque tournante de la déportation des Juifs de France vers les camps d’extermination. Près de 63 000 Juifs sont déportés depuis le camp de Drancy, de la gare du Bourget-Drancy puis de la gare de Bobigny, principalement
à destination d’Auschwitz-Birkenau.

Le fichier des noms est sauvé des flammes

Au début de l’été 1944, devant la progression des forces alliées, des milliers de Juifs sont acheminés à Drancy depuis les villes du Sud pour être déportés.

Le dernier convoi part de Drancy le 17 août 1944. Les déportés sont emmenés à pied à la gare de Bobigny par le nazi Aloïs Brunner qui a pris la direction du camp un an plus tôt. En partant ses hommes brûlent les archives du camp. Mais deux internés parviennent à sauver le fichier des noms. Le camp est alors confié à la Résistance. Le 20 août, les derniers internés sont libérés.

Après la libération de Paris, le camp de Drancy est utilisé pour la détention des personnes suspectées de collaboration, comme l’écrivain et metteur en scène Sacha Guitry, la cantatrice Germaine Lubin ou encore Pierre Taittinger, président du conseil municipal de Paris de mai 1943 à août 1944.

Lieu d’histoire, lieu de mémoire

Monument de Shelomo Selinger appelé à perpétuer la mémoire des Juifs enfermés dans le camp de Drancy

Monument de Shelomo Selinger appelé à perpétuer la mémoire des Juifs enfermés dans le camp de Drancy

Dès 1946, de grandes commémorations initiées par d’anciens internés rescapés d’Auschwitz-Birkenau ont lieu à Drancy. À partir de 1948, les immeubles retournent progressivement à leur destination première. La Cité est débarrassée des barbelés et des miradors, les appartements accueillent des locataires.

Des années 1950 aux années 1980 commence le lent travail d’intégration de la Shoah à la mémoire nationale, avec les témoignages des déportés, peu écoutés, les associations qui militent pour la construction d’un mémorial à Drancy.

Le monument commémoratif réalisé par le sculpteur Shlomo Selinger est ainsi inauguré en 1976, le wagon du souvenir en 1988. En 2001, la cité est classée parmi les sites et monuments protégés de France.
Le 23 septembre 2012, à l’initiative de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, le Mémorial de la Shoah de Drancy ouvre ses portes.

La cité de la Muette (c) P.E Weck

La cité de la Muette aujourd’hui (c) P.E Weck

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