Une exposition présentée au Mémorial de la Shoah de Drancy
du 17 septembre 2017 au 15 avril 2018
En partenariat avec
La cité de la Muette encerclée de barbelés, le faisceau d’un projecteur révélant des dizaines d’ombres marchant péniblement dans la nuit, des portraits aux mines anxieuses, des scènes du quotidien dans l’obscurité de chambres sordides, des silhouettes agglutinées aux fenêtres, les fouilles, l’appel, le ballet des autobus, Georges Horan fut un témoin bien particulier du plus grand camp de transit des Juifs en France : Drancy. Tout au long de son internement, il a su observer et croquer le quotidien du camp avec justesse et précision, tant à travers les scènes que l’expression des visages des internés. Ses estampes révèlent toute la difficulté de la vie dans le camp mais aussi les moments de solidarité et de partage.
Aujourd’hui, dès lors qu’il s’agit d’illustrer l’internement dans ce camp majeur de la persécution des Juifs de France, les dessins de Georges Horan sont une évidence. Cependant, jusqu’à très récemment, on ignorait quasiment tout de l’auteur, dont le véritable nom était Georges Koiransky et qui avait pris pour pseudonyme « Horan ». Sa seule publication connue, un recueil d’estampes, intitulé Le camp de Drancy (seuil de l’enfer juif) et publié en 1947, n’avait jamais été rééditée.
Depuis peu, grâce à ses proches, nous en savons beaucoup plus sur Georges Horan-Koiransky (1894-1986) : croquis, dessins, courriers clandestins et officiels, documents administratifs et photographies et, enfin, un Journal d’internement inédit, écrit en 1943, sont désormais accessibles. Cette redécouverte éclaire son œuvre et permet la réévaluation de ce « témoignage graphique » unique.
Georges Horan-Koiransky est né à Saint-Pétersbourg (Russie) le 25 novembre 1894 dans une famille aisée, francophile et non-croyante. Au début du siècle, la famille Koiransky s’installe à Paris et Georges y développe sa passion pour le dessin, jusqu’à intégrer les Beaux-Arts en cours du soir. Sa mobilisation au sein de l’armée de l’Air durant la Grande guerre lui permettra d’être naturalisé français en 1925. Il s’installe alors à Boulogne-Billancourt où il épouse Hélène Lejeune et lui donne un fils, Alain, en 1928. Il est alors dessinateur industriel chez l’aviateur Farman et soutient le Front populaire.
Durant l’Exode, au printemps 1940, la famille Koiransky se réfugie dans l’Aude puis revient finalement s’installer à Boulogne-Billancourt à la fin de l’été. L’antisémitisme croît, et avec lui les injures et les dénonciations. Puis c’est le temps des enquêtes et des convocations à la préfecture de Police.
Au printemps 1942, deux sœurs de Georges, dont une avocate radiée du Barreau de Paris suite aux lois sur le statut des Juifs, ainsi qu’un de ses neveux sont reconnus comme « non-juifs » par un expert du Commissariat général aux questions juives. Sa sœur obtient ainsi sa réintégration en tant qu’avocate. Mais, un voisin de la famille Koiransky, profondément antisémite, parviendra à faire arrêter Georges le 11 juillet 1942.
Des gens hirsutes sont groupés sur le bas-flanc de droite ; sale gueule, débraillés, assez peu rassurants, noirs ; tout un mélange de pègre, de racaille, venus de partout, semblant suspects comme ces traces brunes qu’ont certains murs lépreux. Je trouve une place à gauche ; ma mallette me servira d’appui-tête. Je suis résolu au mutisme. Je reconnais deux juifs aperçus le matin rue Greffulhe.
Georges Horan-Koiransky est finalement interné à Drancy le 12 juillet 1942, peu de temps avant l’arrivée des femmes et des enfants de la rafle du Vel’ d’Hiv’ (16 et 17 juillet 1942) qui vont donner une toute autre dimension au camp et faire augmenter considérablement la fréquence des déportations.
Georges fait rapidement la connaissance de René Blum, frère cadet de Léon et autorité morale du camp, qui lui demande de dessiner pour témoigner de ce qu’ils vivent et pour accompagner un texte qu’il souhaite écrire afin commencer à retranscrire l’histoire du camp. Tout ce qu’il va voir, Georges Horan-Koiransky va le dessiner : malnutrition, désœuvrement, corvées, misères, tensions, arrivée des enfants par train, nouvelles déportations… Ses estampes sont réalisées à partir de différents matériaux et techniques qu’il évoque avec soin dans son journal (crayon, stylo, pastel, craie, huile…), tout comme le papier que sa femme ne peut lui fournir en quantité suffisante et dont il manque régulièrement. Il parvient tout de même à faire sortir clandestinement ses dessins dans son linge sale pour que sa femme les conserve.
Je transcrirai tout ce que je verrai. Nous dresserons le réquisitoire de cette inhumanité monstrueuse, de cette honte ineffaçable (…) Je croque, je fais des portraits et demande du papier en échange. N’importe lequel. Je peine, tant pis, je mendie du papier, je note avec prudence, dans les chambres, dans la cour, dans les escaliers. (…) J’ai des complices spontanés. Un rideau humain se forme devant moi lorsque j’ai besoin de me cacher.
Suite à la rafle du Vel’ d’Hiv’ qui a lieu a Paris les 16 et 17 juillet 1942, 4992 adultes sont directement dirigées vers le camp de Drancy. Les familles avec des jeunes enfants (soit 8160 personnes, dont 4115 enfants) sont quant à elles internées au Vélodrome d’Hiver (XVe) puis transférées dans les camps du Loiret, à Pithiviers et de Beaune-la-Rolande. A cette époque, le Reich ne réclame que les jeunes de plus de 15 ans, mais Pierre Laval, alors chef du gouvernement français, souhaite déporter tous les enfants juifs. Dans l’attente de l’approbation de Berlin, seuls les mères et les grands adolescents, séparés des enfants, sont déportés des camps du Loiret vers Auschwitz-Birkenau par les convois n°13 à 16 entre le 31 juillet et le 7 août 1942. Les enfants restent seuls, dans une détresse absolue. L’accord de Berlin pour la déportation des enfants tombe le 13 août. Entre le 15 et le 25 août, ils sont transférés à Drancy avant d’être déportés à leur tour vers Auschwitz-Birkenau par les convois n°20 à 26, entre le 17 et le 28 août 1942.
Depuis plusieurs jours – je l’avais annoncé – des rafles monstrueuses ont eu lieu à Paris. Vingt mille juifs – dit-on – ont été internés. Le Palais des Sports, le Parc des Princes, Buffalo, les Tourelles sont pleins. Il y a une part de vérité dans cette information. Pour la première fois depuis des mois, les autobus parisiens de la [S].T.C.R.P. [société des transports en commun de la région parisienne] amènent au camp des Juifs. Il y en a combien ? Trois mille peut-être qui arrivent sans arrêt, fourbus, minables, éreintés. Les coups de sifflet des gendarmes se suivent.
L’un des dessins les plus connus de Georges Horan-Koiransky illustre l’arrivée des enfants au camp de Drancy.
Le 4 septembre 1942, aux côtés de René Blum et d’autres « conjoints et conjointes d’aryennes et d’aryens », officiellement « non-déportables », Georges Horan-Koiransky est déplacé au camp de Pithiviers puis, le 24 septembre, au camp de Beaune-la-Rolande.
Ce portrait intitulé « Dr Schatzman, 1942 » a été réalisé par Georges Horan-Koiransky, très probablement au cours de leur internement commun au camp de Pithiviers en septembre 1942 car « non-déportables ». Pourtant, le 20 septembre 1942, Benjamin Schatzman et que René Blum sont transférés au camp de Beaune-la-Rolande puis transférés au camp de Drancy pour être déportés le 23 septembre par le convoi n° 36 parti vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Georges, quant à lui, est transféré au camp de Beaune-la-Rolande le 24 septembre et réintègre finalement le camp de Drancy le 27 septembre 1942. Il conserve involontairement ce portrait qui aurait dû revenir à son commanditaire.
Fouille pour les arrivants d’hier. Pardonnez-moi mes mensonges, pauvres gens. Ce n’est pas moi l’Ogre. Je me suis levé tard. Je dessine un peu, comme on se jette à l’eau, sans savoir si c’est par hygiène ou pour se noyer. Le cœur n’y est pas. À onze heures quinze minutes, les Allemands arrivent. Contre-ordre. La déportation est suspendue. Les petits vieux se hâtent de regagner au plus vite leur pigeonnier.
Depuis son arrestation, Georges Horan-Koiransky nie être Juif, s’appuyant sur le statut obtenu par ses sœurs et son neveu quelques mois auparavant. En septembre 1942, c’est sa femme Hélène qui se voit délivrer un certificat de « non appartenance à la race juive », ce qui va confirmer le statut de « conjoint d’aryenne » de Georges. Seulement partiellement protégé par ce nouveau statut, il sera finalement déclaré « non Juif » le 25 janvier 1943 grâce à la mobilisation de ses proches. Il ne sera libéré de Drancy que le 13 mars 1943.
Malgré sa libération, Georges Horan-Koiransky reste menacé. Il se confectionne alors des faux papiers, se fait appeler « Georges Horan » et noue des contacts avec la Résistance. Il commence également à écrire son Journal pour « se libérer ».
Début 1945, il porte plainte contre les voisins qui l’ont dénoncé. Il travaille alors dans les assurances mais continue sa pratique artistique et poursuit, sans René Blum, son projet de recueil de dessins qu’il va préfacer lui-même et publier à compte d’auteur sous le titre Le camp de Drancy, seuil de l’enfer juif en 1947.
Georges Horan-Koiransky meurt le 25 décembre 1986 à Boulogne-Billancourt.
Commissariat d’exposition : Karen Taïeb et Benoît Pouvreau
Scénographie : Gaëlle Seltzer
Graphisme : Pauline Gruffaz
Eclairage : TEMLIGHT
Remerciements
Françoise Kornprobst, Alain Koiransky †, Madeleine Koiransky, Claire Fuchs,
Sylvie Zaidman et Joël Clesse, Thomas Fontaine, Serge Klarsfeld, Sophie Nagiscarde, Maxime Courban, Eric Semblat et Jérémy Cuenin, Emeric Pinkowicz.
Centre d’études et de recherches sur les camps d’internement dans le Loiret et la déportation juive, le CERCIL – Musée mémorial des enfants du Vél’ d’Hiv’
Fondation pour la Mémoire de la Shoah
Musée de la Résistance nationale
Archives de Paris
Archives de la Préfecture de Police
Archives nationales
La Direction des services d’Archives, la Direction de la Culture, du Patrimoine, du Sport et des Loisirs et le service du patrimoine culturel du Département de la Seine-Saint-Denis.